Le pâtre

VIII

La femme n’arrive pas à distinguer les contours de cet objet devant elle. Parfois il prend la forme d’un grand poisson avec des écailles des deux côtés et devant. La queue de ce poisson monstrueux semble être divisée en trois parties. Deux parties horizontales et une partie verticale. Des planches sont fixées au large du corps. Elles ont l’air de flotter dans le vent. Plus en avant de ce soi-disant animal géant la promeneuse découvre deux ailes qui lui font penser à un grand oiseau. Pourtant l’aspect de la masse change continuellement et on n’arrive pas à reconnaître une forme géométrique précise.

Une éolienne qui nous tombe du ciel, soupire-t-elle et commence à gesticuler avec ses bras comme si elle voulait imiter le mouvement d’un tel appareil ou lui souhaiter la bienvenue. Des éoliennes auraient peut-être résolu le problème du village, car avec le refus de la fusion l’usine d’électricité perdit le droit d’accès à la station qui pompait l’eau avec l’excédent du courant de la nuit dans un lac de stockage. Ce lac artificiel se vidait pendant la journée aux heures de pointe pour mettre en marche des génératrices supplémentaires. L’homme d’affaires et le président communal qui menaient grand train de vie avec plusieurs voitures électriques ainsi que des piscines et saunas surchauffées craignaient une pénurie de courant électrique. Dans une action spontanée, sans aucune stratégie réfléchie, ces deux hommes décidèrent de débarquer avec deux grandes valises remplies de billets de banque en pleine séance du conseil de la commune des étoiles pour leur offrir de racheter les droits perdus. Une valise contenait l’argent de la caisse de pension communale. Une somme importante qu’on ne pouvait placer nulle part à cause d’une histoire de taux d’intérêt ou de taux de conversion négatif*. L’autre valise était remplie de billets d’une monnaie étrangère que l’homme d’affaires avait détournés au fisc lors de son séjour au Nord. Le conseil fut stupéfait par la proposition jugée insolite par une grande partie de ses membres. Il prit les valises et demanda un temps de réflexion sans prendre aucune autre décision.

Une semaine plus tard l’employée du musée et de la bibliothèque communale se rendit chez le boursier pour demander sa retraite vu qu’elle avait atteint l’âge. Ce dernier constata que cet argent aussi avait été utilisé pour les négociations liées à ces droits de pompage. Dès lors il n’était pas en mesure de verser une rente à cette femme qui avait mis ses services à la disposition de la communauté pendant des décennies.

Sans moyens désormais, elle aussi était obligée de quitter le village pour demander l’assistance sociale dans la nouvelle commune.

*La dame ne se souvient pas du terme exact